La cartographie statistique à l’épreuve du XXIe siècle (part II)
Catégorie: Cartographie, Données, Logiciels, Recherche, Reportages, Utilisateurs, WebMapping
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Chapitre 2 : Survivre malgré les turbulences
Si le numérique ne remet pas profondément en cause le langage de la cartographie statistique* (voir notre premier chapitre de ce reportage), il bouscule les codes de la profession qui doit se réinventer pour continuer à exister. Suite des débats menés lors du colloque Cartostats organisé le 9 juin dernier à Paris.
Avec le numérique, sont arrivés les frères ennemis de la cartographie : les SIG. Les mauvais élèves d’hier, centrés sur la gestion de données géographiques, se sont peu à peu dotés de fonctions spécifiques à la cartographie statistique et à l’analyse spatiale. Certains outils restent « carto centriques » comme la famille Articque. De nouvelles générations émergent, qui s’affranchissent des modèles SIG pour se rapprocher du raisonnement cartographique (citons Mapbox, Carto) ou se concentrer sur la production de cartes statistiques (Magrit, Khartis), sans oublier les géants du Net (Google) ou des bases de données (Oracle, Microsoft, mais également Tableau, Qlik…) qui sont utilisés pour produire la grande majorité des cartes aujourd’hui visibles sur la toile.
Outre la difficulté du choix, les outils les plus populaires semblent avoir du mal à trouver le bon compromis dans l’accompagnement méthodologique de leurs utilisateurs. Maintenant que tout le monde fait de l’analyse spatiale sans le savoir, où placer le curseur ? Faut-il laisser à l’utilisateur la responsabilité de faire de « bons » choix en termes de construction cartographique ? Ou limiter les options, voire proposer des modes de représentation opaques, comme les populaires « heat maps » ou cartes de chaleur.
Des données mal maîtrisées
La révolution numérique a porté l’attention sur un point crucial : les données. Et c’est là que les cartographes ont tendance à se sentir mal à l’aise. Ils n’ont pas forcément les compétences pour traiter ces jeux de données de plus en plus volumineux. Pourtant, il en est ici comme des cartes : tout n’est que construction. Il n’existe pas plus de base de données neutre que de carte objective. L’intention doit être révélée afin de produire un résultat honnête et juste. « Il y a toujours un code caché derrière les agrégations » insiste Arthur Charpentier de l’Université de Rennes 1, qui se présente comme le statisticien dans cet aréopage de cartographes. D’où également tout l’intérêt de la démarche proposée par Nicolas Lambert et Timothée Giraud du CNRS d’exposer méthodes, outils et bases de données exploités dans les travaux de recherche, afin de permettre une reproduction des résultats. Hervé Paris a présenté la démarche AlterCarto, qui participe elle aussi à la déconstruction des raisonnements « officiels » en mettant en cartes (et en les rendant visibles) des données ouvertes mais complexes (chômage par exemple).
Garder le cap
La profusion des outils et des auteurs questionne les fondements mêmes du métier de cartographe. Philippe Rekacewicz, cartographe, géographe et journaliste, l’un des fondateurs du site Visionscarto, se demande comment « garder le cap » face à l’immensité des possibilités techniques. Comment préserver l’intention cartographique ? Comment ne se laisser avoir ni par le côté sensationnel, ni par l’homogénéisation liée à l’utilisation d’outils très proches les uns des autres ? « Nous ne sommes pas producteurs de ces nouvelles cartes diffusées sur le web, analyse Boris Mericskay, professeur à l’université de Rennes. Ce sont des data journalistes, des data scientists, des développeurs Web qui les produisent car il y a un véritable enthousiasme pour la cartographie thématique. Les gens veulent voir des cartes. » Mais cet insatiable appétit cartographique s’accompagne d’un manque de rigueur dans le traitement des données, de choix cartographiques parfois douteux au nom de l’esthétique (voir la carte de Lucify sur l’arrivée des migrants en Europe, analysée ici). Les cartes électorales qui ont envahi le Web à la suite des élections présidentielles associent toutes le même jeu de données officiel des résultats et le fond cartographique des communes en open data. Résultat ? 500 communes ont été modifiées depuis la publication du dernier GeoFLA qui forment autant de trous. De plus la structuration du fichier des résultats rend toute présentation autre que « candidat arrivé en tête » très complexe à réaliser. « Il n’y a plus d’intention, se désole Boris Mericskay. Certaines cartes ne sont produites que pour faire le buzz, pour twitter. »
Des pistes pour se réinventer
Les sources d’inspiration du cartographe contemporain doivent tirer profit de la multiplicité des outils et de ceux qui les prennent en main. Désormais artistes, data scientists, designers, graphistes… apprennent les uns des autres et s’inspirent mutuellement (voir notre dossier sur la Dataviz). « Nous vivons dans une société en mouvement, note Karine Hurel, cartographe au Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), alors que nous outils sont plutôt centrés sur l’immobilité. Nous devons accepter de ne plus ancrer la carte uniquement dans le territoire géographique. » Avec le laboratoire Chôros, le CGET (ex-Datar) a réfléchi à de nouvelles façons de représenter flux et mobilités. Travailler les corps des flèches pour leur faire porter des informations supplémentaires, jouer sur les accumulations rendues possibles par le numérique afin de créer un effet de mouvement, inscrire le mouvement dans le temps et l’espace par la trace… autant de pistes qui ont été explorées et semblent prometteuses. Mais la simple accumulation des traces individuelles comporte certains biais. Elle fait par exemple ressortir les bords de l’espace étudié, les centres ayant tendance à être noyés dans la masse.
Les participants au colloque Cartostats, tous chercheurs et/ou enseignants se posent bien évidemment la question de l’enseignement de la cartographie. Face à l’injonction de multiplier les prises en main d’outils, ils aimeraient pouvoir se concentrer plus sur les méthodes. Mais la question déborde le cadre des études supérieures et pose celle de la sensibilisation au langage cartographique de tous ces nouveaux lecteurs de cartes. Et ils sont nombreux.
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Définition |
Qu’est ce que la cartographique statistique ? |
S’appuyer sur une carte pour présenter des données chiffrées, des taux, des catégories, des typologies… tel est le vaste champ de la cartographie statistique, qui mériterait sans doute une meilleure définition. |
- Lien direct vers le colloque Cartostats (programme, résumés, supports de présentations des intervenants)
- À lire également : Troubles dans le genre, reportage sur le colloque Temps, Art et Cartographie qui s’est tenu à Strasbourg en mars 2016