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Le goût des autres

| 13 novembre 2015 | 0 commentaire

Catégorie: Livres, Arts, Expos, Portraits

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© Ville de Saint-Dié-des-Vosges

Grand témoin du dernier Festival international de la géographie de Saint-Dié-des-Vosges, Florence Aubenas aurait pu détonner au milieu des nombreux universitaires et chercheurs venus plancher sur les territoires de l’imaginaire. Bien au contraire. Déjouant tous les pièges, même ceux de la célébrité, la journaliste s’est posée en vraie géographe, témoin empirique mais inlassable de la complexité du monde actuel.

« Je n’ai pas beaucoup d’idées, en tout cas, pas régulièrement. Je n’ai pas énormément d’imagination non plus. Je rechigne encore davantage à théoriser, et c’est souvent un fiasco. Bref, tout me désignait pour devenir reporter. » Voilà comment Florence Aubenas se décrit dans l’avant-propos de En France, son dernier ouvrage paru aux éditions de l’Olivier, qui rassemble ses chroniques publiées dans Le Monde entre 2012 et 2014. Il est vrai que l’imagination n’est pas forcément une qualité chez un journaliste. « Je travaille sur le réel, je suis donc a priori éloignée de l’imaginaire » nous confie-t-elle dans un éclat de rire, entre deux dédicaces. Et pourtant.

À l’écoute des imaginaires

Et pourtant, pendant cinq mois, enfermée dans sa prison en Irak, elle s’invente d’autres mondes pour tenir le coup. Et pourtant, elle reconnaît sans peine « l’inépuisable anticipation du voyage » que contiennent les cartes dont elle possède deux valises pleines. Et pourtant, quand elle intervient en table ronde sur « les imaginaires du monde au risque des frontières », elle s’inquiète du désarroi de populations réfugiées, venues pour certaines de régions rurales du Nord de la Syrie « très fermées, très tenues par Bachar El Assad, avec une focale très étroite sur le monde et donc, forcément, un très grand imaginaire ». Ce sont encore ces imaginaires individuels et collectifs, brisés par la crise ou qui résistent encore, qu’elle traque dans ses chroniques qui lui ont fait sillonner toute la France. Mais elle n’hésite pas à dénoncer les imaginaires quand ils projettent sur les autres des schémas de pensée réducteurs. C’est tout le travail qu’elle a mené dans La Méprise, montrant à quel point le procès d’Outreau a été celui des idées reçues et de personnes « qui n’étaient vues que par le prisme de leur étiquette sociale ». Qu’il s’agisse d’Irak, de Syrie, d’Outreau, de Caen ou du bassin minier du Nord…, ce sont nos imaginaires qu’elle casse, nous forçant à regarder la réalité quotidienne d’hommes et de femmes, sans a priori. « Ce qui m’intéresse au fond, ce sont les gens ordinaires qui se trouvent happés par une histoire extraordinaire. Comment chacun fait face à ces situations collectives pour les dépasser. »

Une géographe du quotidien

Aujourd’hui reporter au Monde, Florence Aubenas a fait de ce va-et-vient entre aventure individuelle et aventure collective sa marque de fabrique. Elle inspire les géographes, qui considèrent Le Quai de Ouistreham comme un témoignage de première main. Et les géographes l’inspirent aussi : « Pendant longtemps, ceux qui pensaient le monde, ceux qui avaient envie de s’y engager étudiaient l’histoire. Aujourd’hui, c’est la géographie. Tout ce qui pense et qui est vivant vient de la géographie. On réfléchit le monde en termes d’espaces et de territoires, c’est par là que ça bouge et que ça pense. » Inépuisable voyageuse, la journaliste reconnaît entretenir un rapport contrarié aux cartes. « J’ai un très mauvais sens de l’orientation, j’ai donc besoin d’elles mais il me faut du temps pour faire le lien entre le terrain et la carte. » En tant que grand reporter, chaque mission commence par la chasse aux cartes, qui passe par les coups de fils et les bons tuyaux échangés entre collègues. Sur les routes de France, pour se déplacer dans ce que les Parisiens appellent « la France profonde », elle branche son GPS « mais je garde aussi des cartes qui me donnent une vision plus large. » Et la journaliste de conclure avec un sourire gourmand : «  Finalement, je les considère un peu comme des vieilles copines. »

 

Quelques repères
1961 : Naissance à Bruxelles
1984 : Diplômée du Centre de formation des journalistes
1986 : Entre en tant que secrétaire de rédaction à Libération, où elle deviendra grand reporter. Couvre de nombreux événements (Rwanda, Kosovo, Algérie, Afghanistan, Irak) et plusieurs grands procès en France.
2005 : Otage en Irak de janvier à juin avec son guide et interprète, Hussein Hanoun al-Saadi
Parution de La Méprise : l’affaire d’Outreau
2006 : Quitte Libération et rejoint Le Nouvel Observateur
2009 : Prend un congé sabbatique et s’installe à Caen où elle s’inscrit comme chômeuse à Pôle emploi pour vivre le quotidien des précaires.
2009 : Présidente de l’Observatoire international des prisons (jusqu’en 2012)
2010 : Parution de Le Quai de Ouistreham
2012 : Entre au journal Le Monde
2014 : Parution de En France

 

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