Question de domanialité
Catégorie: Cadastre, Cartographie, Données, Environnement, IDG/IDS, Institutions, Open Data, Recherche, Reportages, Réseaux/Transports, Sécurité/défense
Juriste connaissant bien l’information géographique, Armelle Verdier-Maillot a soutenu en janvier sa thèse sur La reconnaissance d’une domanialité géospatiale en droit administratif des biens. Elle nous explique en quoi ce concept de domanialité (ce qui caractérise le domaine public) peut s’appliquer à l’information géographique.
Comment en êtes-vous arrivée à vous intéresser à l’information géographique dans le droit public ?
Quand j’ai commencé ma thèse, j’ai constaté que la plupart des études menées en droit concernaient principalement le droit privé, celui des contrats, de la protection des données personnelles, du droit sui generis des bases de données, mais que le rapport entre donnée géographique et droit public était peu abordé. Le sujet n’est généralement envisagé que par le biais de l’encadrement des usages des données géographiques dites publiques et environnementales telles que le mentionnent la loi CADA et la directive INSPIRE. J’ai souhaité remonter aux origines de la dimension spatiale. Les autorités publiques s’appuient sur des données géographiques pour définir les biens matériels du domaine public. En droit, la notion de matérialité se caractérise par deux éléments : le caractère tangible d’un bien et son assise spatiale, construite à partir de données géospatiales. Celles-ci relèvent de constructions mathématiques, et les cartes produites sont des modélisations de la réalité. Je pose alors l’hypothèse que le domaine public matériel coïncide avec un domaine public immatériel, composé de données géospatiales.
Vous parlez plus volontiers de données géospatiales que géographiques. Pourquoi ?
Réalisée en cotutelle entre le département des sciences géomatiques de l’université de Laval au Québec et la faculté de droit de Montpellier 1, ma thèse s’adresse aussi bien aux géomaticiens qu’aux juristes. Or, ces derniers ont tendance à assimiler données géographiques et cartographie. Pourtant, les données ne sont pas forcément cartographiques, elles peuvent également s’exprimer sous d’autres formes (textes de règlements par exemple), c’est pourquoi je parle plutôt de données géospatiales.
Selon votre point de vue de juriste, à quel niveau interviennent ces données géospatiales ?
Certaines données sont une condition sine qua non pour définir les biens matériels publics. De plus, elles sont incontournables pour gérer les territoires. Il y a donc bien une domanialité géospatiale composée par les données géospatiales qui définissent les propriétés publiques et assurent la gestion des territoires par le biais des représentations cartographiques. De même que le domaine public est défini par l’ensemble des biens détenus par une personne publique auxquels sont affectés des usages précis pour le public ou pour des services publics, les données géospatiales du domaine public peuvent être définies en tant que données détenues par les personnes publiques auxquelles sont affectés des usages pour le public ou pour les services publics. Parmi toutes ces données, certaines emportent une valeur juridique comme les règlements d’urbanisme. Le régime de la domanialité est là pour protéger des biens dont la puissance publique a la maîtrise. Je pense qu’il faut également protéger certaines données géographiques, ce qui veut dire en garantir l’accès, l’intégrité et la préservation.
Nous sommes à l’heure des collaborations public/privé dans la production de données et un même jeu de données peut servir à définir un règlement d’urbanisme, à localiser un réseau, des espèces rares ou un service. La notion de domanialité n’est-elle pas trop restrictive ?
La notion de domanialité est un concept ancien, dont un des courants proposait de fonder une sorte de gradation entre différents niveaux de protection. Certaines données nécessitent une protection maximale. C’est par exemple le cas du futur géoportail de l’urbanisme, dont les données auront une valeur juridique. Mais cela n’empêche en rien que les contours de plans locaux d’urbanisme et de SCOT soient également utilisés pour d’autres problématiques. Ce qui compte, c’est de protéger la donnée à valeur normative et de la rendre accessible. Il ne faut pas se focaliser sur la dichotomie entre producteur et utilisateur à l’heure de l’open data et de la participation citoyenne, mais bien revenir à la cause de la production, à l’usage. C’est pourquoi cette notion de domanialité rejoint également la problématique de la qualité externe des données.