Montrer les données urbaines : aller plus loin mais jusqu’où ?
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Les villes exposent de plus en plus les données qu’elles produisent pour assurer leur propre gestion. Maquettes 3D, portails open data, applications… sont devenus essentiels. La numérisation de composantes sensibles, historiques, d’espaces cachés… peut compléter ce nouveau tableau digital de l’espace urbain. Avec des conséquences variées.
Avez-vous déjà rêvé d’une balade virtuelle sonore dans le Paris du XVIIIe siècle ? Ce sera bientôt possible grâce au travail de fourmi et de titan mené par Mylène Pardoen, docteur en musicologie et créatrice de paysages sonores. À travers textes, images, instruments, elle piste sans relâche toutes les traces sonores de la ville depuis dix ans. Et il y en a partout : dans les registres qui listent les métiers, dans la description des équipements de la Seine, dans les archives de police, les journaux intimes, dans certaines expertises de bâtiments, etc. Mais comment donner à voir une telle recherche ? C’est le pari un peu fou du projet Bretez : 25 hectares de Paris, dans le quartier de l’horloge, qui ont été modélisés sous forme de maquette 3D très détaillée.
La ville bruyante
Jusque-là, rien que de très classique. Mais cette maquette a été enrichie par toute une série d’enregistrements sonores, reconstitués avec un grand souci de véracité historique, qui ont été mis en base de données afin d’être activés lors des déplacements dans la maquette. Les créateurs de jeux vidéo ne font-ils pas aussi bien ? En termes de résultat sonore, ça se ressemble mais la précision est saisissante. « Je commence par créer des zones d’ambiance, qui illustrent l’acoustique d’un lieu sans bruit, détaille l’historienne des sons. L’acoustique d’une rue est liée à sa largeur, à son élévation, aux matériaux de construction, aux éléments d’architecture, certaines formes évacuent mieux le son que d’autres. Ensuite je positionne des informations qui sont autant d’objets sonores, en prenant en compte le plan vertical. La base fonctionne donc par couches. J’ai par exemple récupéré de vrais sons auprès des artisans. Pour produire trois minutes d’ambiance, il faut compter environ soixante heures de travail. » La maquette devrait être exposée l’été prochain au Châtelet et un projet de dispositif de réalité augmentée est à l’étude avec Arte.
La fabrique de la ville ordinaire
La géomatique et ses techniques permettent d’exposer des données historiques. Mais rendre compte de l’espace urbain ancien implique d’être capable d’intégrer un certain degré d’incertitude. Les sources sont toujours partielles, surtout quand on s’intéresse à la ville ordinaire, celle qui a échappé aux grands projets urbanistiques, comme l’a fait Anne-Sophie Clémençon, du laboratoire Environnement, Ville et Société. L’historienne de l’architecture a d’abord mis en récit l’évolution d’une partie de la rive gauche du Rhône à Lyon grâce aux archives d’un de ses grands prioritaires, les hospices civils. Elle a trouvé dans ce fonds de nombreux documents tels que plans d’îlots, photos, cartes postales, et même quelques photos aériennes. Elle s’est ensuite tournée vers des collègues géomaticiens (Clément Chagnaud, Gilles Gesquière, Hélène Mathian, Sylvie Servigne) pour construire ensemble des outils de visualisation et d’exploration de cette évolution urbaine. L’équipe s’est appuyée sur la plateforme 3D-Use développée dans le cadre du projet Virtual City mené par le laboratoire Liris. Les emprises successives des îlots puis des bâtiments, modélisés en City GML (3D schématique), associés à une fenêtre chronologique, permettent de voir la fabrique de la ville ordinaire, calée sur la maquette du Grand Lyon disponible en open data. Des couleurs sont utilisées pour rendre compte de l’incertitude qui pèse autour de certaines modélisations. 3D-Use facilite également une exploration très interactive des sources : recherche textuelle et dans les documents qui sont géolocalisés, soit sous forme d’étiquettes (photos de façades par exemple), soit directement intégrés en transparence dans la maquette (plans d’îlots). Le travail de sélection est fondamental car l’iconographie est trop riche. « Nous avons trié les iconographies en fonction de ce qu’elles représentent : la ville, un quartier, un bâtiment, une rue mais également en fonction du positionnement de l’utilisateur, explique Hélène Mathian de l’ENS Lyon, seules apparaissent celles qui sont cohérentes. » Le travail est loin d’être achevé. Comment partager cette nouvelle vision de l’évolution de la morphologie urbaine avec d’autres publics, les habitants par exemple, qui sont souvent les meilleurs experts de leur quartier ? Comment filtrer les données quand il y a surabondance et suggérer des modélisations possibles quand les sources manquent ? Autant de questions qui se posent autant à l’historienne qu’aux géomaticiens.
Exposer ou sauver ?
La ville est truffée de lieux abandonnés, en cours de reconversion, oubliés des projets d’aménagement, qui forment autant d’espaces de résistance à la modernisation. Philippe Vasset explorait les espaces laissés en blanc sur les cartes de l’IGN (Un livre blanc), puis les interstices de l’urbanisme contemporain (La Conjuration) pour en faire des récits ou des romans. Désormais, les pratiquants de l’exploration urbaine (alias Urbex), eux aussi attirés par les lieux délaissés (friches industrielles, bâtiments publics abandonnés…) s’échangent photos et adresses, y créent de véritables œuvres, se laissent des « traces offrandes » comme a pu l’observer Sarah Rojon (Centre Max Weber) à Saint-Étienne. Entre révélation et dissimulation, ils ont un usage ambivalent des réseaux sociaux et des plateformes de partage, qui participent à la vie de la communauté mais risquent de mettre en danger les lieux ainsi découverts.
Certains, au contraire, se tournent vers les maquettes 3D et les applications de visualisation pour donner à voir le patrimoine en péril, espérant ainsi le sauver. C’est le sens du projet mené par Mélanie Meynier-Philip doctorante à l’école d’architecture de Lyon. Après avoir inventorié les 339 églises de la ville, elle a découvert que 15 d’entre elles étaient menacées de démolition. « Pour sauver les églises et proposer des projets de conversion, il faut être à la rencontre entre la mobilisation d’une communauté attachée au lieu et les besoins des collectivités, » analyse la chercheuse. Après avoir fait une recherche documentaire très complète sur l’église de Bon Pasteur, elle a construit, avec l’aide d’Emilio José Mascort-Albea qui a travaillé sur un projet du même type sur la préservation du patrimoine à Séville, une modélisation de l’église. Les plans du bâtiment ont été saisis sous Autocad et tous les éléments d’archive sont référencés sous forme de points, classés en catégories : existant, dégradé, disparu. Elle en a extrait une Story Map et publié l’enceinte précise de l’église dans OpenStreetMap. Mais l’idée serait d’aller plus loin et d’exposer ces informations dans des applications touristiques, de les ouvrir en open data pour mobiliser les communautés et les aider à monter des projets de reconversion ou de restauration.
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