Spécial GeoDataDays : Pour une géodata à la Française
Catégorie: Données, Entreprises, IDG/IDS, Institutions, Marché, Open Data, Reportages, Secteur public
« Sortir de son pré carré », « dépasser les logiques de défiance », « se débarrasser de nos préjugés »… Face aux rouleaux compresseurs venus d’Asie ou d’Amérique, les acteurs français de l’information géographique ont bien compris qu’il était temps d’unir leurs forces pour défendre une geodata « à la Française ». Le débat organisé pendant les GeoDataDays 2019 a esquissé les grandes lignes de ces nouvelles coopérations et les rôles qu’institutions publiques, collectivités, associations, entreprises et contributeurs volontaires pourraient y jouer.
Mais au fait, c’est quoi la géodata à la Française ? « J’aimerais que mon bébé roule dans un véhicule autonome qui fonctionne avec des cartes certifiées par l’État, martèle Valéria Faure-Muntian, députée de la Loire et auteur du rapport sur les données souveraines. Pas par les cartes que n’importe qui peut modifier en direct live sur Google à n’importe quel moment. » Une certaine vision de l’information géographique émerge des débats consacrés au bouleversement des géodata autour de valeurs communes : indépendance de la production et de la mise à jour ; qualité connue, décrite et certifiée ; équité territoriale ; respect d’un cadre éthique de production, d’utilisation et de partage ; algorithmie transparente ; ouverture aux réutilisations tant professionnelles que de grande consommation…
Du CNIG aux IDG et à l’IGN
Cette vision générale nécessite de répartir les rôles entre les différents intervenants de la chaîne géomatique. Le rapport sur les données souveraines souhaite le renouveau du Conseil National de l’Information Géographique (CNIG) en tant « qu’incarnation de la gouvernance, coordinateur et animateur de manière interministérielle » comme l’a rappelé la députée. Il devra s’appuyer sur des conseils régionaux (CRIG), où siègeront les infrastructures de données géographiques régionales (IDG), associant collectivités et services de l’État. C’est dans ces instances que devra se décider et s’organiser la production d’un socle de données souveraines, c’est-à-dire indispensables à l’action publique et dûment certifiées. Quel devient le rôle de l’IGN ? Formateur de géomaticiens aux profils variés, certificateur de données souveraines, garant de l’équité territoriale, producteur de standards, facilitateur de coopérations… son expertise est attendue sur plusieurs domaines. Ironiquement, c’est désormais sa place en tant que producteur qui pose le plus de questions.
Ne pas oublier le privé !
Aujourd’hui, les entreprises tiennent à rappeler leur rôle essentiel dans la production des geodata. « Sous le contrôle des appels d’offres et de l’IGN, c’est le secteur privé qui a produit toutes les données dont on parle aux GeoDataDays, tient à rappeler Éric Thalgott, président de GeoFIT, trésorier et membre actif du pôle entreprise de l’Afigeo. Nos entreprises grossissent, nous créons de l’emploi, nous payons nos impôts… » Lors du festival des géoinnovations et sur les stands, les entreprises ont également prouvé qu’elles savent innover, que ce soit en termes de méthodes de production que d’exploitation. Mais les appels d’offres ne poussent pas toujours au maintien des compétences sur le territoire national. « La mise en concurrence qui s’appuie toujours sur le prix le plus bas est un modèle assez navrant qui amène à produire une partie de nos bases de données, y compris les données souveraines, à l’étranger » insiste le chef d’entreprise.
Intégrer les volontaires
Autre force de production encore trop ignorée, celle des contributeurs volontaires, dont Gaël Musquet s’est fait le porte-parole. « OpenStreetMap a 15 ans, le même âge que Google Maps. La différence, c’est qu’aujourd’hui, on nous traite comme une maladie sexuellement transmissible en qualifiant notre licence de « contaminante ». Nous défendons simplement le principe de la réciprocité : utilisez nos données, revendez-les, mais si vous les améliorez, partagez avec les autres vos améliorations. » Il est bon de rappeler que la communauté OpenStreetMap (OSM) a fait avancer le secteur. Même si le feuilleton de la Base Adresses Natonale (BAN) est loin d’être terminé, c’est elle qui en a écrit le premier chapitre en 2014. OSM est aujourd’hui un référentiel reconnu et qui sert de base à l’expérimentation la plus importante en termes de véhicule autonome : OpenPilot, une application sur smartphone qui a permis à 8 000 conducteurs de parcourir 17 millions de km sans toucher le volant. OSM, ce sont des milliers de gens passionnés et pragmatiques sur le terrain au quotidien, capable de lutter contre les inégalités territoriales et d’alerter sur celles qui émergent. Car « ce qui gêne le plus mon véhicule autonome, rappelle Gaël Musquet qui a dépassé les 10 000 km avec sa Toyota « hackméliorée et autonome », ce ne sont pas les quelques zones blanches, ce sont les routes sans marquage au sol, car les collectivités n’ont pas de quoi se payer assez de peinture pour le maintenir en bon état. »
Faire confiance aux collectivités
Régions, départements, métropoles, communautés de communes, syndicats, communes… « les territoires financent une grande partie de l’information géographique afin de disposer des informations nécessaires à l’exercice de leurs missions, au maintien des services publics dans les territoires ruraux », rappelle Frédéric Deneux, directeur du CRAIG, le centre régional Auvergne-Rhône-Alpes de l’information géographique. Si les IDG régionales siègeront dans les CRIG, leur rôle ne se limite pas à la gouvernance locale autour des données souveraines, comme elles l’ont rappelé au moment de fêter les dix ans de leur réseau. Acculturation au partage, sensibilisation des élus, montage de partenariats divers, coproduction de données métier, relais des communautés de contributeurs, diffusion de données, … les IDG sont en première ligne dans ce paysage de la géodata en plein bouleversement.
À l’occasion de ses dix ans, le réseau des Crige a financé un petit film expliquant ses missions.
Reste enfin l’épineuse question des modèles économiques, objet de nombreuses discussions tout au long des deux jours.
Organiser l’open géodata
Si l’open data apparaît comme une évidence, il nécessite de sécuriser les financements à l’amont. Pour l’IGN, l’équation est complexe. L’institut doit se préparer à une diffusion gratuite de toutes les données du RGE au 1er janvier 2022, probablement sans augmentation de sa subvention, donc avec un manque à gagner « de 5 à 10 millions de recettes par an » comme le rappelle le directeur général Daniel Bursaux. Entre un opérateur d’État contraint à l’open data, des collectivités sous tension, des IDG qui ont du mal à stabiliser leurs budgets, des entreprises à qui il est demandé de casser les prix, qui va payer ces géodata à la Française ? « Une circulaire devrait être publiée d’ici la fin de l’année indiquant aux préfets de région les moyens à dédier à l’information géographique dans leurs services » promet la députée. Les acteurs territoriaux l’attendent avec impatience.