Les apps, nouvel outil de régulation ?
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Avec le numérique, toutes sortes d’applications au service de la mobilité ont été développées. La facilité à intégrer une brique de géolocalisation, souvent au cœur même du service proposé est certainement l’un des facteurs clés de cette explosion applicative. Ici, Google Maps et Apple Plan dominent nettement le marché. Ces applications vont-elles changer nos comportements ?
Tous les aménageurs publics ont une obsession en tête : diminuer la part de la voiture dans les déplacements quotidiens. De nombreuses start-up s’attaquent au problème, grâce à la géolocalisation de ressources.
Stationnement pénible
Un tiers des véhicules circulant dans Paris sont à la recherche d’une place de stationnement alors qu’il y aurait 120 000 places libres… dans des parkings privés. Les entrepreneurs ne manquent pas d’idées pour résoudre cette contradiction. BePark, Yespark, OpnGo… proposent tous des offres pour utiliser ces places libres dûment géolocalisées, grâce à des partenariats avec les grands gestionnaires d’immeubles. Qucit s’attaque pour sa part aux places en voirie grâce à un modèle prédictif qui intègre le temps qu’il faudra pour se garer dans son calculateur d’itinéraire (développé pour Bordeaux et aujourd’hui également installé à Dijon et Metz). Le modèle est basé sur l’analyse des jeux de données disponibles en open data (densité de magasins, d’écoles, météo, places de parkings… rassemblées en mailles de quelques centaines de mètres carrés), calés grâce aux données acquises auprès des utilisateurs de l’application.
Le covoiturage de proximité : casse-tête économique
Autre grand espoir pour limiter la circulation urbaine, le covoiturage. BlaBlaCar semble avoir trouvé sa place, mais n’est utilisé que pour des trajets longue distance, 330 km en moyenne. « En matière de covoitrage de courte distance, personne n’a trouvé la martingale » résume Jean Coldefy, adjoint au service mobilité urbaine à Lyon métropole. Plusieurs start-up ont mis la clé sous la porte ou ont été rachetées dernièrement. Là encore, la brique géolocalisation est essentielle même si elle peut rester discrète. Les applications ont toutes leurs spécificités, mais aucune n’a encore trouvé de modèle économique viable. Leur succès passera par leur taux d’adoption, évalué par plusieurs start-up à environ 300 000 utilisateurs (dont un tiers de conducteurs) pour l’Île-de-France. Karos, qui s’appuie sur une analyse fine des trajets pour proposer le bon « match », se tourne vers les entreprises pour rentabiliser sa plateforme, en rassemblant des communautés de personnes travaillant sur des sites proches. Même approche pour WayzUp qui commence à faire son trou à Saint-Quentin-en-Yvelines grâce aux entreprises partenaires. « Il est important de démarrer avec un gros employeur, sur lequel de plus petits viennent ensuite s’agréger » explique Julien Honnart, son fondateur.
Le Saint Graal du multimodal
Les collectivités locales misent beaucoup sur l’information multimodale pour réduire l’usage de la voiture. « Nous avons dix ans de retard dans ce domaine » constate Christophe Duquesne d’Aurige, qui développe des systèmes d’information voyageur depuis plusieurs années. Récemment, je me suis rendu à Berlin, et effectivement, j’ai pu utiliser un assistant de navigation multimodal complet, qui me guide de bout en bout, m’explique ce que je vais voir comme signalisation. » À San Francisco, le voyageur peut même être guidé en réalité augmentée grâce à Urban Engines, fondé par des anciens de Google et de Stanford qui mobilise à la fois l’open data, le big data et les objets connectés.
Comment expliquer un tel retard ? L’ouverture des données transport avance, mais les opérateurs hésitent encore à les publier. Les normes buttent sur la définition même des objets qui constituent un réseau de mobilité (arrêt physique, arrêt commercial…) et aucun système d’identifiant national stable n’est encore en place. Enfin, le lien entre les arrêts de transports en commun et les différents réseaux de mobilité (les itinéraires en transports en commun, mais aussi les rues où marcher, etc.) est encore à faire dans bien des cas. Et il y a encore des trous dans la raquette des référentiels, notamment dans la modélisation des espaces indoor (pôles d’échanges, gares…). Il faut également disposer d’une information de qualité, notamment sur les temps de trajets qui ne doivent être ni minimisés, ni exagérés. C’est pourquoi l’intégration de données temps réel et prédictives sur les embouteillages et les transports en commun est si importante. « Nous traitons 20 millions de données par jour » insiste Jean Coldéfy, qui prépare une nouvelle application Onlymoov2. Ce calculateur d’itinéraires multimodaux pourra proposer des alternatives à la voiture, tout en prenant en compte l’ensemble des informations temps réel et de prédiction du trafic à une heure sur l’agglomération, exploitant ainsi une partie des résultats du projet de recherche Optimod’Lyon.
Un bienfait, toutes ces applications ? Enfin le moyen de réguler le trafic ? De changer de comportement ? Rien n’est moins sûr. Jean Coldefy le reconnaît volontiers. Si la part de la voiture a diminué de 50 % dans Lyon intramuros depuis dix ans, c’est dû à la diminution de l’espace de chaussée disponible bien plus qu’au développement d’applications !
La mise à disposition de plateformes Web et d’applications mobiles rapprochant offre et demande grâce à la géolocalisation a pourtant bien favorisé le développement de nouvelles formes de mobilité. Imaginez BlaBlaCar ou Velib sans fonctions géographiques est pour le moins difficile. Mais le covoiturage a-t-il réduit le nombre de voitures sur les routes ou a-t-il simplement vidé quelques trains et permis l’organisation de nouveaux voyages, qui n’auraient pas eu lieu sans covoiturage ? Idem pour les vélos en libre-service. Qui les utilisent, ceux qui marchaient ? Qui prenaient bus, tram et métro ? Ou ceux qui prenaient leur voiture ? « Les gens qui abandonnent leur voiture pour miser uniquement sur l’auto-partage sont avant tout des gens qui étaient prêts à le faire » analysait Jean-Baptiste Schmider, directeur de Citiz Alsace, lors du séminaire Smart Mobilité. Convaincre les autres ne sera pas facile ! Pour avancer, la SCOP teste désormais un auto-partage sans stations sur Strasbourg et Toulouse. L’usager pourra récupérer ou déposer une voiture n’importe où sur la voie publique, ce qui rend d’ailleurs l’application de géolocalisation encore plus cruciale.
Un budget temps qui résiste
Améliorer rapidement la situation sans aménagement lourd, en misant simplement sur les changements de comportement des habitants, est un pari audacieux. Car la conjecture de Zahavi décrite dans les années quatre-vingt est toujours d’actualité. Le budget temps consacré aux mobilités quotidiennes dans nos pays occidentaux reste stable, autour d’une heure par jour. Ce que nous gagnons en vitesse, nous le dépensons en distance. Nous sommes peut-être tous des êtres rationnels, mais nos habitudes ont la vie dure, comme l’a très bien analysé par exemple Thomas Buhier. « Nous fondons nos choix sur des représentations qui ne sont pas forcément justes en termes de temps et de coûts » insiste Jean Coldefy. Intégrer le coût réel des transports sera-t-il suffisant pour faire changer les comportements ? « L’industrie automobile progresse elle aussi, remarque Jean Coldefy. Bientôt arriveront sur le marché des petites citadines hybrides ou totalement électriques qui risquent de faire tomber certains de nos arguments. » Notre résistance au changement est énorme et il faut à la fois garantir des gains très importants (coûts, risques, vitesse…) pour accepter de laisser sa voiture au parking, voire de la revendre pour opter pour des modes de transports alternatifs.
L’intégration de voies réservées au co-voiturage sur les grandes pénétrantes sera sûrement un argument plus important que n’importe quelle promesse « durable » proposée par les applications. Mais, pour ce faire, il faut de l’espace, une denrée rare dans nos villes européennes ! À l’inverse, pèseront également dans la balance les comportements d’une nouvelle génération, qui ne considère plus le permis de conduire comme un sésame d’indépendance et qui a un rapport bien différent au numérique et au partage. Alors, comment être sûr que les choix politiques d’aujourd’hui qui s’incarneront dans des infrastructures d’ici vingt à trente ans seront les bons ?
Encadré
Terrain de jeux |
Le Grand Paris Express, une occasion d’innovation |
Avec le projet de Grand Paris Express, ce sont 68 gares qui devront être aménagées, « l’occasion de penser l’accès à ces gares avec toutes les mobilités » espère Isabelle Rivière, directrice des relations territoriales de la société du Grand Paris. Il va également falloir penser la mobilité pendant les travaux qui vont s’étaler sur quinze ans, avec des effets très concrets sur la circulation dès cette rentrée. C’est pourquoi l’établissement public a lancé un appel à projets innovants le 23 juin dernier sur les enjeux de la mobilité, de la circulation et du stationnement pendant les travaux. Quant aux gares elles-mêmes, elles seront équipées des infrastructures nécessaires à une géolocalisation fine à l’intérieur des bâtiments. « Nous travaillons avec Etalab sur l’interopérabilité des données notamment géographiques, que nous produisons déjà et que nous allons produire. Lesquelles mettre à disposition, sous quelle forme, avec quelles API… » Complète Gaëlle Pinson, responsable adjointe du projet numérique. |
- Envie d’aller plus loin ? Nous vous recommandons le billet de Bruno Marzloff, fondateur du cabinet d’études Chronos « Door to door ou l’individuation des mobilités » de juin 2016. Pour y accéder directement, suivez ce lien