Playtime !
Catégorie: 3D, Dossier : Quand la géo se met en jeu, Entreprises, Environnement, Grand public, Institutions, Livres, Arts, Expos, Marché, Recherche, Réseaux/Transports, Secteur public
Longtemps considéré comme une activité isolée, réservé aux enfants ou à des espaces-temps bien définis, le jeu sort aujourd’hui de ses « cercles » et s’invite dans la vie quotidienne, scientifique et économique. Car qui dit jeu dit engagement, collaboration, créativité… autant de valeurs qui peuvent être mobilisées pour construire le monde de demain !
Bonne nouvelle ! Plus de crainte à avoir pour la santé de vos enfants, scotchés devant leurs jeux vidéo de baston, ils sont en train de devenir des experts ! Demain, ils sauveront le monde. Pas seulement celui de World of Warcraft, mais également celui dans lequel nous vivons, que nous avons consciencieusement pourri depuis la révolution industrielle.
Homo ludens
C’est la théorie que défend Jane McGonigal depuis 2010, qu’elle détaille dans son ouvrage « Reality is broken : Why games make us better and how they can change the world ». Les joueurs vivent des émotions très positives quand ils jouent : concentration, engagement profond, coopération, sentiment de liberté, joie, accomplissement personnel, fierté… bien au-delà de ce qu’ils éprouvent face aux difficultés de la vraie vie. Le cerveau s’emballe, les centres du plaisir s’activent. Mobiliser toutes ses énergies pour faire la peau aux maladies plutôt qu’aux monstres, pour lutter contre le changement climatique plutôt que contre les envahisseurs, pour construire la ville de demain plutôt qu’une cité moyenâgeuse… c’est l’idée de base de la « gamification » (ou ludification) qui fait de plus en plus d’émules. Après avoir séduit les secteurs du management, de la gestion d’équipe et de la psychologie positive, le jeu peut également être mobilisé pour s’attaquer aux grands problèmes de notre société. Mais utiliser les principes du jeu pour résoudre de vrais problèmes nécessite de prendre quelques précautions car les joueurs ne sont pas idiots : il ne suffit pas de leur proposer de collectionner des trucs, de leur fournir des récompenses, de les inviter à s’associer à d’autres joueurs… Les scénarios doivent être bien pensés, la liberté d’engagement préservée, le défi doit être adapté au niveau de chaque joueur, etc. La forme peut ensuite être variée : jeux vidéo, jeux de rôles, jeux de société… Tous les supports sont mobilisables.
Des jeux aux enjeux
Les jeux de rôle sont régulièrement mobilisés pour sensibiliser à la gestion territoriale. Ainsi, Hervé Flanquart (sociologue) et Mylène Chambon (anthropologue) ont élaboré un jeu de plateau (Riskopolis) sur les enjeux de concertation dans l’établissement des plans de prévention des risques technologiques. Les joueurs représentent les acteurs (préfet, exploitants, élus, fonctionnaires des services de l’État, riverains) qui ont chacun un ensemble d’actions possibles à mener, selon leurs priorités (sécurité, développement économique, développement urbain). Ensemble (et en plusieurs tours de table), ils doivent trouver une solution pour gérer l’extension d’une usine sur un territoire réduit à un ensemble de cases à aménager, sachant qu’au final, c’est toujours le préfet qui prendra la décision. On retrouve la même simplification du territoire dans le jeu imaginé par les étudiants du master Bioterre de l’université de Paris 1 pour développer la participation autour de la transition énergétique. Le plateau se présente sous forme de mailles hexagonales, pixellisation grossière de la région du Trièves, réduite à cinq modes d’occupation du sol : agriculture, forêt, urbain, montagne et lac. Là encore, les différents acteurs doivent négocier leurs choix en matière de production énergétique afin d’atteindre l’autonomie en quinze ans, dont les conséquences sont calculées via un modèle assez simple sur un tableau Excel. LittoSIM va plus loin dans la modélisation et s’attaque à la sensibilisation aux risques liés aux submersions marines. Là, les acteurs proposent des actions d’aménagement qui alimentent un modèle informatique (basé sur Listflood). Ce dernier retourne aux participants un niveau de submersion, pris en compte pour orienter progressivement les aménagements, en une série de boucles itératives.
Les dispositifs associant jeux de rôle et de plateau destinés à expérimenter les affres de la concertation autour de problématiques spatiales complexes (urbanisme, risques, énergie…) se développent de plus en plus. Pour l’instant, ils nécessitent un fort accompagnement (les temps d’explication, de debriefing sont très importants) et restent peu techniques même s’ils peuvent faire appel à des modèles complexes pour rendre compte des interactions entre les actions envisagées. À l’avenir, la démocratisation des maquettes 3D de territoires et le développement de modèles systémiques de développement urbain (voir notre dossier sur la géoprospective) risquent fort d’engendrer un nouveau genre de jeux sérieux.
- Une critique intéressante du livre de Jane McGonigal par Françoise Lejeune dans Questions de communication, sous ce lien
- Note : Les partenaires du programme LittoSIM : le CNRS, les université de La Rochelle, de Tours, de Paris 1, de Limoges, de Grenoble et l’IRD